La dépénalisation progressive de l’homosexualité en Australie s’est étendue de 1975 à 1997, marquée par des réformes législatives successives dans chaque État et Territoire, culminant avec l’intervention fédérale après l’affaire Toonen v. Australie en 1994.
1. Contexte historique
La dépénalisation des actes sexuels consensuels entre personnes de même sexe en Australie a eu lieu progressivement entre 1975 et 1997. Cette période a vu chaque État et Territoire adopter ses propres réformes pour abolir les lois pénalisant l’homosexualité, souvent sous les pressions des mouvements pour les droits civiques et des changements sociaux.
2. Étapes clés du processus de dépénalisation
- 1975 : première réforme en Australie-Méridionale
En 1975, l’Australie-Méridionale est devenue le premier État australien à abolir les infractions de « buggery » (sodomie), de « gross indecency » (grossière indécence) et de « soliciting for immoral sexual purposes » (sollicitation à des fins sexuelles immorales). Cette réforme pionnière a marqué le début de la dépénalisation de l’homosexualité en Australie.
- 1994 : intervention du gouvernement fédéral et le cas Toonen v. Australie
En 1994, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, dans l’affaire Toonen v. Australie, a statué que les lois de la Tasmanie pénalisant l’homosexualité violaient le droit à la vie privée en vertu de l’Article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Cette décision a incité le gouvernement fédéral à agir pour garantir les droits des personnes LGBTQ+.
3. Affaire Toonen v. Australia, 31 mars 1994, Comité des droits de l’Homme
Dans cette affaire le Comité des droits de l’Homme de l’ONU avait à traiter de deux articles du code pénal tasmanien qui criminalisaient diverses formes de relations sexuelles entre hommes, y compris toutes les formes de relations sexuelles en privé entre hommes homosexuels adultes consentants. Le Comité en se fondant sur les obligations internationales découlant de la ratification par l’Australie du Pacte international des droits civils et politiques déclarent ces lois non-conventionnelles sous le principe du droit à la vie privée.
- Sur la recevabilité de la requête et la qualité de victime du requérant
- Ce type de législations même si inappliqué reste attentatoire aux droits et libertés fondamentaux
« 5.1 […] il a noté que les dispositions législatives contestées par celui-ci n’étaient plus appliquées depuis un certain nombre d’années par les autorités judiciaires de Tasmanie. Il a considéré toutefois que l’auteur avait avancé suffisamment d’arguments pour démontrer que le maintien de ces dispositions — qui risquaient à tout moment d’être appliquées et influaient en permanence sur les pratiques administratives et l’opinion publique — lui avaient été et continuaient de lui être préjudiciables et qu’elles pouvaient soulever des questions relevant des articles 17 et 26 du Pacte. » – page 5
- Sur la violation du droit à la vie privée
- Constatation de l’ingérence par l’État tasmanien dans le droit à la vie privée
« 8.2 En ce qui concerne l’article 17, il est incontestable que la sexualité consentante, en privé, est couverte par la notion de « vie privée » et que M. Toonen est effectivement et actuellement touché par le maintien en vigueur des lois tasmaniennes. Le Comité considère que les articles 122 a) et c) et 123 du Code pénal de Tasmanie constituent une « immixtion » dans la vie privée de l’auteur, même si ces dispositions n’ont pas été appliquées depuis 10 ans. À cet égard, il note que le fait que le Procureur général ait pour pratique de ne pas engager de poursuites pénales dans le cas de comportements homosexuels privés ne permet pas d’avoir l’assurance que de telles actions ne seront pas engagées contre des homosexuels à l’avenir, en particulier eu égard aux déclarations, qui n’ont pas été contestées, faites par le Procureur général en 1988 et par des membres du Parlement tasmanien. Le maintien en vigueur des dispositions incriminées représente donc une immixtion permanente et directe dans la vie privée de l’auteur. » – page 10
- Sur la justification de cette ingérence
« 8.4 L’État partie reconnaît que les dispositions contestées constituent une immixtion arbitraire dans la vie privée de M. Toonen, mais les autorités de Tasmanie font valoir qu’elles sont justifiées par des raisons de santé publique et de morale car elles visent en partie à empêcher la prolifération du virus du VIH (sida) en Tasmanie et parce que, en l’absence de clauses limitatives expresses dans l’article 17, les questions de morale doivent être considérées comme relevant des affaires intérieures. » – page 11
« 8.5 Pour ce qui est de l’argument lié à la santé publique, le Comité note que qualifier les pratiques homosexuelles d’infraction pénale ne peut être considéré comme un moyen raisonnable ou une mesure proportionnée pour empêcher la prolifération du virus du sida. Comme le fait remarquer le Gouvernement australien, les dispositions faisant des pratiques homosexuelles une infraction pénale tendent à entraver l’application de programmes de santé publique « en obligeant à la clandestinité un grand nombre de personnes à risque », ce qui va à l’encontre de la mise en oeuvre de programmes efficaces d’information sur la prévention du sida. D’autre part, le Comité note qu‘aucune corrélation n’a été établie entre le maintien de l’homosexualité en tant qu’infraction pénale et l’efficacité de la lutte contre la prolifération du VIH (sida). » – page 11
« 8.6 Le Comité ne peut pas davantage accepter l’idée que, aux fins de l’article 17 du Pacte, les questions de morale sont exclusivement du ressort interne car ce serait retirer au Comité son droit de regard sur un grand nombre de textes qui peuvent représenter une immixtion dans la vie privée. Il note de plus qu’à l’exception de la Tasmanie, tous les États d’Australie ont abrogé toutes les lois faisant de l’homosexualité une infraction pénale et que, même en Tasmanie, il n’y ait pas l’unanimité sur la question de savoir si les articles 122 et 123 ne devraient pas également être abrogés. Étant donné de plus que ces dispositions ne sont pas appliquées actuellement, ce qui donne à penser qu’elles ne sont pas réputées essentielles à la protection de la morale en Tasmanie, le Comité conclut qu’elles ne satisfont pas au critère du « motif raisonnable » dans les conditions particulières de l’affaire et qu’elles représentent une immixtion arbitraire dans la vie privée de M. Toonen, en violation du droit consacré au paragraphe 1 de l’article 17. » – page 11
- Sur l’aspect discriminatoire de la législation
- Opinion du Comité
« 8.7 L’État partie a demandé l’avis du Comité sur le point de savoir si les préférences sexuelles pouvaient être considérées comme une « autre situation » au sens de l’article 26. La même question pourrait se poser au regard du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte. Le Comité se borne toutefois à observer qu’à son avis, la référence au « sexe » au paragraphe 1 de l’article 2 et à l’article 26 doit être considérée comme recouvrant les préférences sexuelles. » – page 12
- Opinion individuelle de Bertil Wennergen
« L’article 122 du Code pénal tasmanien interdit les rapports sexuels entre hommes et entre femmes. Si l’article 123 interdit également les rapports sexuels indécents entre hommes consentants en public ou en privé, il n’interdit pas les rapports similaires entre femmes consentantes. Au paragraphe 8.7, le Comité observe qu’à son avis, la référence au « sexe » au paragraphe 1 de l’article 2 et à l’article 26 doit être considérée comme recouvrant les préférences sexuelles. Je souscris à cette opinion car le dénominateur commun des motifs que sont « la race, la couleur et le sexe » sont constitués par les facteurs biologiques ou génétiques. Cela étant, la répression de certains comportements sous l’empire des articles 122 a) et c) et 123 du Code pénal tasmanien doit être considérée comme étant incompatible avec l’article 26 du Pacte.
Premièrement, ces dispositions du Code pénal tasmanien proscrivent les rapports sexuels entre hommes et entre femmes, établissant ainsi une distinction entre personnes hétérosexuelles et personnes homosexuelles. Deuxièmement, elles répriment d’autres rapports sexuels entre hommes consentants sans pour autant réprimer des rapports similaires entre femmes. De ce fait, elles s’écartent du principe de l’égalité devant la loi. Il convient de souligner que c’est la criminalisation proprement dite qui constitue une discrimination dont les individus peuvent se prétendre victimes et qui, de ce fait, viole l’article 26, nonobstant le fait que la loi n’a pas été appliquée pendant longtemps : le comportement visé reste néanmoins une infraction pénale. » – page 14
- Conclusion
« 10. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur, victime d’une violation des dispositions du paragraphe 1 de l’article 17 en corrélation avec le paragraphe 1 de l’article 2, a droit à réparation. De l’avis du Comité, l’abrogation des articles 122 a) et c) et 123 du Code pénal de Tasmanie constituerait une réparation effective. » – page 12
Ressource juridique
Décision de la Cour Toonen v. Australia : https://depenalisation-homosexualite.org/wp-content/uploads/2024/07/Decision-Toonen-v.-Australia.pdf