Pierre KARLESKIND

Député européen (France)
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Pierre Karleskind, qui est député européen et notamment à l’origine des procédures engagées contre la Hongrie et la Pologne pour violation du respect des droits humains, notamment des droits humains des personnes LGBT, je vais laisser Pierre en parler.

Merci Étienne.

Bien, il est 21h donc je comprends que Jean-Marc Berthon et moi avons plutôt intérêt à ne pas être trop longs pour faire nos conclusions, sinon nous serons mis dehors. Et Étienne, bon tu me présentes comme initiateur de procédure, alors j’ai un gros défaut ici, je ne suis pas juriste, alors pas du tout juriste. Je ne comprends rien au droit, et c’est peut-être pour ça que je suis législateur au fond. C’est ce qui assure qu’avant tout le législateur que je suis part de grands principes politiques. Et c’est assez merveilleux en fait de voir l’usage qui est fait par justement les juristes de ces principes politiques qui deviennent ensuite la règle qui nous permet de vivre ensemble. Alors au Parlement européen en plus je suis président de la commission pêche. Vous allez me dire quel rapport avec ce qui nous occupe aujourd’hui. Ben écoutez, le rapport il est dans la salle, puisque il y a quelques mois, un peu plus d’un an maintenant, un an, un peu moins d’un an, je présidais une mission comme nous en faisons régulièrement, une mission de la Commission de pêche au Sénégal.

Et grâce à Étienne j’ai eu le plaisir de rencontrer Abdou, et je le dis alors c’est pas coutumier qu’on sorte du cadre des missions dans lequel nous voyageons, mais enfin en l’occurrence moi je m’étais dit pourquoi ne pas en profiter justement pour aller rencontrer des associatifs, des militants. Et je veux le dire Abdou, parce que tu as été très pudique ce soir, nous avons longuement échangé sur ce que je me permets de te tutoyer, sur ce que tu as vécu et tu as mis des mots sur des réalités qu’on aborde souvent sous un angle parfois soit un peu technique soit un peu juridique. Au fond quand on parle de mise en cause des droits, quand on parle de violation des droits tout ça, sont des mots qui ont du mal parfois à porter la réalité de ce que tu as vécu. Et ce soir on a bien compris ton émotion. Tu nous l’a faite passer, et c’était extrêmement important que nous ayons cet aspect émotion parce que il ne faut pas perdre de vue pourquoi est-ce que nous sommes ici.

Effectivement, il ne faut pas perdre de vue ce qu’est la souffrance, ce qu’est le sentiment d’exclusion, ce qu’est pour certains aussi simplement le questionnement de la légitimité à vivre. Et quand je suis arrivé au Parlement européen en juillet 2019, un des premiers dossiers que nous avons eu à traiter, c’était effectivement, la ministre Isabelle Rome l’a évoqué, et Clément Beaune aussi, ces régions polonaises qui se déclaraient des zones sans idéologie LGBT, ces zones sans LGBT. Et au fond ces résolutions qui n’avaient, non, d’ailleurs rien de contraignant au point de vue juridique, puisqu’elles n’imposaient pas aux gens de partir, aux personnes LGBT de partir. Simplement je me disais, vous êtes un jeune, une jeune et puis vous faites la découverte de votre orientation sexuelle, vous faites la découverte, vous réinterrogez votre identité de genre, et vous vous rendez compte vous êtes dans une région où on vous dit « vous n’êtes pas à votre place, et on interroge même jusqu’à votre légitimité à vivre ». Je crois qu’il ne faut pas le perdre de vue, tout ça c’est extrêmement important. C’est extrêmement important d’autant plus que quelque chose que nous n’avons pas évoqué.

Ça n’était pas forcément le sujet ce soir, mais je voulais insister sur un point. Ça a été évoqué parfois par certains, ça a été évoqué explicitement aussi, la pénalisation de l’homosexualité comme de façon plus globale même si je ne veux pas tout mélanger l’homophobie, c’est aussi un enjeu de santé publique mondiale. C’est un enjeu de santé publique mondial. Dès lors que vous devez vous cacher pour vivre qui vous êtes, ce que vous êtes, on le voit particulièrement sur dans la lutte contre le VIH, vous restez à l’écart des dispositions et des dispositifs de lutte contre cette maladie. Quand une partie de votre vie est clandestine, que parfois d’ailleurs les relations se font à la va vite, cachées, comment est-ce que celles et ceux qui portent les politiques de dépistage, et on le sait avec l’expérience au bout de tant d’années de lutte contre le VIH que les politiques doivent être ciblées, doivent aller chercher celles et ceux qui sont première ligne. Et bien quand ces personnes se cachent, ça n’est pas possible, ça ne marche pas. Et donc c’est un vrai sujet, rien que sur celui-ci, mais c’est vrai aussi globalement sur la question de de la santé, et je veux le dire aussi sur les questions de santé mentale.

La charge mentale que l’on subit quand on doit se cacher de qui l’on est une charge mentale qui peut induire une vraie question de santé mentale. Et ça a été très bien exprimé dans la vidéo quand ce garçon parlait de confinement de l’intérieur. Je vis dans le confinement de l’intérieur, on a bien vu ce que c’est que le confinement, confinement qui a eu aussi des répercussions sur chacun d’entre nous. Et quand il dit confinement intérieur depuis 7 ans ou je ne sais plus combien de temps on comprend combien cette question est fondamentale. Le corollaire, en tout cas l’extension sont tout simplement une problématique sociale et sociétale. La pénalisation c’est l’exclusion, cela a été évoqué aussi, c’est potentiellement le décrochage. Abdou tu me disais tu es infirmier de formation mais tu ne peux plus exercer aujourd’hui. Tu as perdu ton emploi parce qu’on n’accepte pas à cause de ton homosexualité que tu continues ton emploi. Donc en fait un pays qui a formé un jeune à être infirmier, qui a besoin en plus d’infirmiers, se prive de talent. Et ça c’est aussi un sujet sur lequel on voit bien que des sociétés en fait se mettent elles-mêmes à mal au regard de cette question de la pénalisation de l’homosexualité. Alors je vais vous parler quand même un petit peu de l’institution, pas que je représente mais dans laquelle je suis élu. Vous dire que à la fois l’action européenne à un sens, et puis le Parlement européen est votre allié.

Le Parlement européen déjà est amené à examiner un certain nombre de législation qui permettent d’avancer. On a quand même évoqué un certain nombre de pays européens, on a parlé de la Pologne, on a parlé de la Hongrie, on a parlé de la Lituanie, je pourrais parler de la Bulgarie aussi. En ce moment il y a quand même une petite fille qui est coincée en Espagne, faute de papier en Bulgarie, et elle est apatride.

Ca n’est pas exactement la pénalisation de l’homosexualité mais enfin c’est quasiment, elle est pénalisée parce qu’elle a deux mamans. En tout cas elle n’est pas pénalisée au sens du droit, encore que je ne sais pas si on peut pas considérer ça, elle peut pas rentrer dans son pays, petite fille 3 ans, pas le droit d’aller en Bulgarie parce qu’on refuse de transcrire son état civil, et que malgré une courbe décision de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour suprême bulgare continue de le refuser. Alors on essaye d’avancer, on est en cours de discussion pas au Parlement européen mais entre les Etats Membres sur l’inclusion des crimes et propos haineux dans la liste des crimes européens. Là aussi, c’est s’assurer que nous avançons. Le Parlement Européen est aussi une caisse de résonance diplomatique, il faut l’utiliser comme tel et nous l’utilisons régulièrement comme tel. Nous avons adopté un certain nombre de résolutions qui évidemment condamnent la pénalisation, qui appellent à la dépénalisation universelle. Nous avons aussi l’occasion, et c’est pour ça que je dis que c’est une caisse résonance, le Parlement européen l’année dernière avec une collègue du groupe The Left, j’ai organisé l’événement conclusif d’un programme européen dédié aux réfugiés LGBT, qui a permis de mettre en avant comment les choses se passent.

Nous avons accueilli aussi au Parlement européen Frank Mugisha qui est un activiste ougandais qui fait l’objet de poursuite, et nous avons voulu aussi l’accueillir pour qu’il puisse voir les députés européens, qu’il puisse faire résonner sa voix ici au Parlement européen aussi. Nous avons aussi évidemment des relations avec un certain nombre d’autres pays, même si l’Amérique latine n’est pas le secteur le plus problématique sur le sujet de la pénalisation. En tout cas l’Amérique du Sud pas trop, l’Amérique centrale un petit peu plus, un peu plus problématique. Et j’ai eu l’occasion puisque siégeant au sein de l’Assemblée parlementaire euro latino-américaine, d’organiser une conférence à Buenos Aires sur le sujet global de l’acceptation des personnes LGBT dans nos différentes sociétés européennes et latino-américaine. Ce qui a permis aussi de mettre autour de la table, et bien des élus d’un certain nombre de pays, certains finalement sont très ouverts, prenez en Argentine par exemple. En Argentine vous avez 1% obligatoire de personnes trans dans la fonction publique. Vous pensez qu’en Europe ça aurait presque choqué tout le monde. Pourtant il faut avancer. Et donc ce sont ces exemples qui nous permettent aussi d’avancer. Donc en quelque sorte nous sommes une chambre qui fait écho revendications du monde, et puis parfois nous sommes aussi, en tout cas on essaye de donner une voix ceux qui n’en n’ont pas.

Nous avons adopté des résolutions soutenant Idriss, un tchétchène, ou bien ces deux lesbiennes iraniennes condamnées à mort. Là aussi c’est une occasion, c’est parlant toujours et encore, faire en sorte que jamais ces cas ne disparaissent de l’orbite médiatique, donc là où nous pouvons apporter des éléments ça permet d’avancer. Alors comme je le dis je ne suis pas juriste, donc je vais pas faire de recommandations de juriste, mais quelques pistes pour avancer, avec quand même un petit bémol c’est que le contexte est peut-être pas des plus favorables en ce moment. Monsieur Borillo, vous avez montré que le respect des droits humains doit amener à la dépénalisation; vous nous l’avez bien dit. Je sais plus qui, c’est Étienne qui vient de nous dire que ça, ça marche dans les pays qui respectent l’Etat de droit.

Et un sujet au Parlement européen qui nous est particulièrement cher, en tout cas qui m’est particulièrement cher et qui est particulièrement cher au groupe dans lequel j’appartiens, cette question du respect de l’Etat de droit qui y compris dans des pays de l’Union européenne n’est pas acquis. Tant et si bien qu’il a même fallu sur la période budgétaire actuelle, conditionnaliser l’utilisation des fonds européens au respect de l’État de droit. Donc y compris dans les frontières de l’Union européenne, l’Etat droit n’est pas acquis. Et c’est Joseph Messinga qui nous a dit très justement que pour la Russie, la question LGBT est un sujet de soft power. C’est un sujet de soft power, et voyez bien que entre le fait de s’asseoir ou du moins de s’extraire des principes de l’État de droit et puis une tentation d’aller comme la Russie utiliser le sujet LGBT comme un outil de soft power, au Sénégal on le ressent, on le ressent, ça se voit. Autant la Chine, au Sénégal on voit aussi pas mal de drapeaux chinois quand même. Autant la Chine c’est du hard power où on signe des chèques, autant la Russie c’est du soft power. Aujourd’hui on le voit un peu partout.

Tu parlais Etienne des procédures engagées contre la Hongrie. Pour être précis c’est la Commission européenne qui a engagé une procédure contre la Hongrie, une procédure qui a vocation a condamner la loi adoptée qui s’appelle Don’t Say Gay, enfin l’équivalent de Don’t Say Gay, c’est-à-dire interdiction de propagande LGBT auprès des mineurs, y compris d’ailleurs dans l’espace public pour un certain nombre de personnes.La Commission a enfin engagé cette procédure. Un certain nombre de pays se sont joints à la Commission. Je plaide activement pour que la France rejoigne aussi ces pays, et je balaye aussi devant ma porte. J’ai saisi la Commission des affaires légales du Parlement européen pour que le Parlement européen se joigne à cette procédure, ce qui serait une première. Jamais le Parlement européen ne s’est joint à une procédure de la Commission contre un État membre. Donc, là aussi, on est sur une première. Donc, je fais un peu aussi de juridisme, je l’avoue, siégeant depuis peu en commission des affaires légales. Vous voyez quand même que nous sommes dans un sujet qui est aujourd’hui un marqueur de clivage dans un monde qui a aujourd’hui des équilibres géopolitiques qui sont en train de se réétablir, et donc nous avons probablement des années voire des décennies avant d’atterrir sur ce sujet là, il faut en être conscient.

Pour ne pas être trop long, et pour conclure sur tout ça, moi je veux dire en sa présence et je veux le saluer, puisque je n’ai pas commencé par les salutations d’usage, combien je suis heureux et fier, puisque j’ai beaucoup milité pour la nomination d’un ambassadeur français sur les questions LGBT, une diplomatie des droits LGBT. Ça n’est pas accessoire, certains m’ont dit à un moment qu’on s’en fout de l’ambassadeur, pourquoi faire ?

Ça n’est pas compliqué, un bon dessin vaut 1000 discours, et il faut continuer ce travail. D’autres pays ont des postes à des dimensions parfois un peu différentes, mais ont aussi des stratégies. Il est important de pouvoir tisser ce réseau en lien avec l’Organisation des Nations Unies qui a aussi son envoyé spécial, et on le voit, nous avons des moyens au niveau international pour avancer. Au point de vue financier, moi je lance une piste, je n’en suis pas complètement convaincu parce que je ne suis pas personnellement naturellement enclin aux conditionnalités sur l’aide au développement, mais je me pose la question : si ce n’est pas de dire on donne la dose de développement à condition de : dépénaliser ou autre chose. À minima, nous devons être dans une optique de dire l’aide au développement, ok, mais si au moins il n’y a pas de retour en arrière, parce qu’aujourd’hui on en est quand même aussi à se demander sur les retours en arrière. Et moi, il ne me paraîtrait pas complètement inopportun qu’on pose la question dans ces termes, à minima sur le non-retour en arrière sur les droits.

Et si ces choses arrivent, alors à ce moment-là, il faut chanter les gouvernements, et à ce moment-là, aider directement les associations. Ça se fait dans certains pays, ça se fait sur certaines associations, et donc parce qu’il est hors de question que nous laissions seuls ceux qui se battent sur le sujet, et moi je rejoins l’appel d’Etienne. Il nous faut des fonds consolidés au niveau mondial, parce que la défense, vous l’avez dit madame, vous avez mis de vos sous, vous avez mis de votre poche à vous. Il y avait toute votre énergie, nous l’avons vu, et merci beaucoup parce que c’est inspirant et c’est formidable, mais vous avez aussi mis de votre argent, et donc là il faut que nous mettions de l’argent, il faut que nous puissions l’avancer et tenir c’est une excellente idée et c’est là que on pourrait le faire. Voilà bon en conclusion, j’étais je pense trop long. Je vois il y a plus de panneaux donc je pense que j’ai un quart d’heure encore. Voilà donc le combat continue une fois de plus, c’est une grande fierté pour moi de pouvoir conclure juste avant Jean-Marc qui dira des choses tellement formidables.

En tout cas, nous sommes tous ici engagés pour que le vent de la liberté souffle sur le monde, merci d’avoir organisé cette ce colloque, et merci vraiment à vous tous et toutes.