Alice NKOM

Avocate camerounaise engagée dans la défense des droits LGBT (Cameroun)
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Dépénalisation de l’homosexualité devant les tribunaux nationaux : exemple du Cameroun

Je passe désormais la parole avec beaucoup de plaisir à Alice Nkom, qui nous a fait l’honneur de venir depuis le Cameroun. Alice Nkom est la première avocate camerounaise. Elle est également une grande figure en Afrique, mais également dans le monde entier de la lutte pour les droits des personnes LGBT dans les pays de la pénalisation. Et elle va nous parler aujourd’hui de ses initiatives au Cameroun en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité.

Bonsoir à tout le monde.

Je voudrais d’abord vous dire merci ; à toute l’équipe d’Étienne grâce à qui je suis ici ce soir pour un partage historique dans l’histoire de la dépénalisation de l’homosexualité, une dépénalisation universelle. Je dois remercier mes amis français, qui depuis le début, c’est-à-dire depuis une vingtaine d’années, m’ont accompagnée, m’ont encouragée et m’ont permis d’être visible dans le monde entier pour ajouter ce combat que les gens voulaient dans les placards, et que nous, de notre côté, voulions absolument placer sur la table du débat national d’abord. Je dois également remercier le docteur Louis-Georges Tin qui, dès le départ, pendant mes premiers pas dans ce combat, et ces premiers pas qui ont été médiatisés à l’occasion des procès que j’ai menés pour sortir des homosexuels présumés parce que personne ne pouvait prouver qu’ils l’étaient et qui étaient menacés d’incarcération par les juridictions camerounaises, a fait connaître mon combat. Je remercie infiniment Idaho France qui m’a permis d’être connue, qui m’a permis d’élever la voix, la voix des homosexuels du Cameroun, où personne ne savait que le Cameroun faisait partie de la triste liste des pays qui pénalisent l’homosexualité tellement c’était tabou. Je remercie également Alexandre Marcel qui a tout fait pour que je sois la figure du combat contre l’homophobie, et qui a tout fait pour que je sois sur tous les plateaux de télévision française pour expliquer le point de vue du juriste que je suis face à ce crime qu’on appelle l’homosexualité au Cameroun.

Il faut savoir que l’homosexualité est un délit qui se définit comme le fait d’avoir un rapport sexuel avec une personne de même sexe, et qui était puni à cette époque-là, ça fait une vingtaine d’années, de peines allant de 6 mois à 5 ans d’emprisonnement, plus des peines d’amendes qui allaient de 20 000 francs CFA à 200 000 francs. Alors j’avais décidé de m’occuper de ces jeunes gens que je voyais dans les tribunaux en train de s’expliquer, qui ont été arrêtés, souvent menottés, conduits à la barre, au prétoire, et qui devaient répondre du délit d’homosexualité. J’avoue qu’à cette époque-là je ne faisais pas très attention, mais la détresse se lisait sur leur visage et ils n’avaient jamais d’avocat pour les défendre.

Puis un jour j’ai été obligé de me pencher sur ce problème parce que j’ai eu la visite de quelques-uns d’entre eux qui habitaient en France, où l’homosexualité n’était plus pénalisée, et qui sont venus me dire bonjour dans mon cabinet, et quand j’ai remarqué qu’ils étaient venus pour s’installer au Cameroun et qu’ils voulaient des stylistes, des couturiers avec leurs amis camerounais restés au pays, et que je voyais manifestement qu’ils ne savaient pas que l’homosexualité pouvait être pénalisée au Cameroun, ne l’étant pas en France où ils vivaient librement leur homosexualité. Je me suis posé la question de savoir si je devais leur dire que tous leurs rêves, tous leurs projets, devaient tenir compte de ce facteur. Parce que à tout moment, ils pouvaient être arrêtés, agressés même dans la rue, et condamnés. Et je ne savais pas trop comment emmener la discussion sur ce point-là, parce que ils ne m’avaient pas dit qu’ils étaient homosexuels, mais moi je voyais bien qu’ils étaient plus que des amis, et je me suis dit mais un homme averti en vaut deux, il faut qu’ils sachent que ce terrain sur lequel ils veulent s’investir est un terrain qui peut être miné, et qui peut leur apporter d’énormes désagréments et d’énormes surprises. Alors à un moment donné j’ai simulé la nervosité, je me suis excusé je leur ai dit que j’étais très embêtée parce que actuellement j’étais en train de suivre un dossier sur de jeunes gens qui étaient arrêtés pour homosexualité mais que ça m’embêtait beaucoup parce que je leur dis « parce que vous le savez certainement, l’homosexualité est un délit au Cameroun » et j’ai suivi les réactions sur leurs visages, et c’était un vrai désastre. Le ciel venait de tomber, je venais de faire tomber le ciel sur leurs têtes. Et quand ils sont sortis de mon cabinet, j’ai vu toute cette, je ne sais pas comment décrire ça, mais c’est une image qui m’est restée, qui m’a hanté tout le temps, et je me suis décidée à faire quelque chose d’autre d’autre, et de plus que d’être un rabat-joie, quelqu’un qui sème la détresse chez les personnes qui viennent lui rendre visite, et je me suis dit il faut faire plus que ça. C’est bien de conseiller les gens, c’est bien de les mettre en garde, mais c’est encore mieux de lutter avec eux pour qu’ils deviennent des hommes libres, dignes, respectés, placés sous la protection de la loi comme tout le monde. Et j’ai réfléchi à ça toute la nuit, et j’ai décidé cette fois-ci de mener le combat.

Mener le combat en allant d’abord chercher qu’est-ce que c’était que cet article 347 bis du code pénal camerounais qui réprimait l’homosexualité. Et je me suis rendue compte que c’était un article bis, donc un article qui avait été ajouté. Ca veut dire qu’il y avait un article 347 avant qui ne parlait pas d’homosexualité. Effectivement, entre parenthèses, 347 bis, on nous annonçait que cet article provenait d’une ordonnance du président de la République du mois de septembre 1972 qui s’était infiltrée par effraction dans un domaine qui était réservé à la loi parce que l’article 26 de la constitution du Cameroun déterminait le champ de compétence de chaque pouvoir et attribuait la détermination des crimes et des délits, c’est-à-dire le code pénal, à la loi votée par le Parlement. Alors que faisait l’ordonnance du président de la République de 1972 dans une loi de 1965 portant Code pénal du Cameroun ? Ca a été les premières questions que l’avocat que je suis, le juriste que je suis a commencé à se poser. Il y avait un problème. Ensuite j’ai relu l’article 2 du même code pénal qui disait ceci, que les traités internationaux, c’est-à-dire la loi internationale, s’imposent à toutes les dispositions du Code pénal. Et quand on le sait, on regarde la Constitution et on constate que c’est en fait la reprise de l’article 45 de la constitution du Cameroun qui établit la hiérarchie des normes juridiques au Cameroun. C’est-à-dire quoi, c’est-à-dire qu’il met au-dessus de la Constitution la loi internationale qui met au-dessus de la loi votée par le Parlement, c’est-à-dire le code pénal, la loi internationale, et pour cause, la loi internationale c’est celle qui protège l’humanité, les droits de l’homme. Le droit international protège des droits que l’État ne nous a pas donnés, qu’on a avec nous parce qu’on est des êtres humains, et que l’État est tenu de protéger. 

On remarque également dans la constitution du Cameroun que elle commence par la Déclaration universelle des droits de l’homme qui en est le préambule, et qui fait entièrement partie de la Constitution, et qui pose un principe extraordinaire : tous les hommes naissent libres et égaux en droit et dignité. Alors d’où vient qu’on pénalise l’homosexualité ? D’où vient que le principe de l’inviolabilité du domicile puisse être violé quand il s’agit des soupçons sur les homosexuels habitant un appartement où on ne voit jamais de filles, par conséquent ce principe de l’inviolabilité qui est un principe constitutionnel devient inopérant. On peut rentrer chez vous n’importe quand parce que le voisin a dit qu’on vous soupçonne d’être homosexuel, parce qu’on ne voit rentrer chez vous que des garçons. Ca a interpellé bien sûr le juriste que je suis, et je me suis dit que les droits de l’homme sont les droits des homosexuels, et les droits des homosexuels sont les droits de l’homme. À partir de ce moment-là, j’ai mis en place une association que j’ai appelée, j’ai beaucoup réfléchi avant ça, j’ai dit tu vas mettre en place une association qu’est-ce que tu vas dire ? Tu vas commencer à te cacher ? Non, je veux défendre l’homosexualité, et donc cette association s’appelle l’Association pour la défense de l’homosexualité. C’est vrai que je savais que le préfet allait sauter au plafond en lisant ça, mais je me suis dit ça passe ça casse, tout simplement. Je vais pas commencer ce combat que je veux public, je veux national, parce que je pourchasse la sournoiserie, l’hypocrisie des gens qui en sont, mais qui légifèrent contre ceux qui ne sont pas bien placés dans la société, je vais le faire à visage découvert.

J’ai regardé la loi sur la liberté d’association qui est une loi de 1990, qui disait que effectivement on est libre de créer une association, mais il y a quand même un petit droit de regard de la préfecture auprès de laquelle il faut déposer un double jeu de statuts parce que le préfet peut à un moment ou à un autre s’opposer à ça, comment dirais-je, régularisation de votre association, et mettre un terme à cette liberté. Mais il doit le faire par écrit et il doit motiver son rejet, parce que c’est un droit fondamental. Alors donc je savais qu’en appelant mon association ADEFHO – Association pour la Défense de l’Homosexualité -, le préfet n’aurait pas de difficulté à dire « je ne peux pas légaliser une chose pareille, c’est contraire à la loi, le code pénal punit l’homosexualité, mais qu’est-ce qu’elle me veut ?«  Donc il fallait que j’aille voir le préfet avant les 2 mois dont il disposait pour rejeter mon association. J’ai pris sous le bras la Constitution, le code pénal, et j’ai demandé une audience et je suis allé le voir. Quand il m’a vu rentrer dans son bureau, il m’a dit « alors toi, alors vraiment, tu es toujours dans la provocation« . « Tu veux qu’on m’enlève d’ici ? Pourquoi tu fais ça, mais pendant que tu y es, demande-moi de faire légaliser une association pour le vol« . Je lui dis « Mais non monsieur le préfet, comment tu peux dire ça ?«  et il me dit « mais enfin c’est comme ça, tu sais très bien, tu es avocate, tu sais très bien que c’est un délit dans notre code en plus du fait que c’est contraire à nos traditions« . J’ai dit « mais pas du tout Monsieur le Préfet, mais justement moi je voudrais que tu sois un des meilleurs préfets qu’on retiendra dans l’histoire du Cameroun, qui aura réconcilié tout le monde, qui aura respecté tous ses concitoyens avec les principes de l’égalité qui va avec, et qui aura protégé son patron le président de la République qui a prêté serment sur la constitution, et qui est l’auteur, qui est le patron de la loi internationale à l’article 43 de la Constitution, qui dit que les traités, les conventions internationales, sont les lois du Président, c’est lui qui les négocie, c’est lui qui le signe, c’est lui qui les ratifie et vous êtes son représentant ici. Je viens donc vous dire que ce faisant, si vous me rejoignez dans ce combat, nous allons ensemble protéger le président de la République dont vous êtes le représentant ici« .

Alors au fur et à mesure que j’ai lu, je vous raconte ça parce que c’est important, pour moi, c’est important que vous sachiez comment ça a commencé. Il a regardé les textes parce que je ne voulais pas qu’il dise « oui les avocats ça blablabla…« , les textes au fur et à mesure il les lisait avec moi puisqu’il m’avait renvoyé à la lecture de l’article 347 du code pénal. Je lui ai montré, et il m’a dit effectivement vu comme ça, je ne peux pas motiver le rejet. Je ne peux pas. Il disposait de 2 mois pour le faire et j’ai compris qu’il ne pouvait pas, et son silence vaut acceptation, donc il a légalisé mon association par défaut mais légalisé. Et donc le combat pour le respect des homosexuels, des droits des homosexuels a commencé à visage découvert, de la manière la plus légale qui soit. Nous avions été légalisés, nous avions le droit de travailler. Et maintenant j’ai dit « ah ah tu vas commencer à travailler comment ? Une association ? Tu seras seule là-dedans, il n’aura personne. Et une association ça vit des cotisations de ses membres et des droits d’adhésion, tu vas faire quoi ? Bon tu es prêt à te ruiner pour ça ?«  J’ai dit oui ! Alors j’ai démarré, et tous les jours je lisais dans les journaux les faits divers, « ah il y a deux homosexuels qu’on a condamnés à tel endroit, il y a eu un autre qu’on a arrêté à tel endroit« , et j’ai commencé à rentrer dans le vif du sujet. Pourquoi on arrêtait, comment on arrêtait, est-ce qu’on respectait les dispositions du code de procédure pénale. Il faut les respecter, le non-respect des dispositions du code de procédure pénale entraîne la nullité sans pitié de toute la procédure. Et moi j’ai bien vu tout de suite que nous avions là du travail à faire sur le plan juridique, dans le domaine du judiciaire, pour qu’on démontre à travers des procès par voie oblique que l’homosexualité ne pouvait en aucun cas se retrouver dans le code pénal comme une infraction. Une infraction c’est quoi c’est un acte matériel. 

Quand vous posez cet acte, il doit avoir causé un préjudice à autrui, sa personne, son patrimoine, son honneur. Est-ce que c’est le cas de l’homosexualité ? Non ! Et dans l’analyse d’une infraction, le juge doit énumérer les éléments matériels et il faut qu’il soit constitués, prouvés. Il n’y en a pas. Il n’y a pas de plaignant. Le seul délit où il y a pas de plaignant. Il n’y a pas de préjudice causé à qui que ce soit. Il n’y a que des gens qui ont été heureux de passer un moment ensemble, des gens qui se sont aimés comme on nous le dit à l’église tous les dimanches : aime ton prochain comme toi-même ! Alors qu’est-ce que le délit d’homosexualité fait dans le code pénal ? Il faut répondre à ça. Quand vous êtes un juge, il faut répondre à ça. Sinon, juridiquement, le délit ne peut pas être constitué. Mais avant ça, il y a un problème législatif qu’il faut résoudre. L’acte sexuel se déroule dans un endroit qui est hyper protégé par la Constitution et par le code pénal, et qu’on appelle le principe de l’inviolabilité du domicile. 

Comment vous allez apporter un dossier à un juge qui n’était pas là pour lui dire que j’ai couché avec ma sœur, une nana, dans mon lit, la nuit, la veille. Comment ? Il faut apporter un dossier avec une enquête préliminaire aux juges, où il y a des éléments de fait, des preuves, des témoins et caetera. Comment vous allez le faire sans violer vous-même mon domicile ? Et la loi a prévu que si vous violez mon domicile, c’est moi qui vous fait condamner et pas l’inverse. Le juge doit rejeter ce genre de preuves et ne pas en tenir compte ! C’est vraiment un délit impossible, et ça je peux le démontrer sur plusieurs autres plans. Donc sur le plan législatif, les juges qui ont voté pour la constitution…je n’ai plus que 2 minutes, qu’est-ce que je vais faire maintenant ? Bon j’arrête ? Je fais comment ? Mais ça va comme ça vous avez vu que ce délit ne devrait pas exister. Tout ça c’est pour dire quoi ? C’est pour dire que le combat de la dépénalisation, ce combat nous devons le gagner. Nous avons tout ce qu’il faut pour ça. Nous avons la loi internationale, celle de l’ONU, celle de l’Union africaine. Et nous sommes parties, nous sommes des états parties à toutes ces chartes là. Quand vous êtes partis à une charte, c’est pour en respecter quand même les valeurs. Vous ne pouvez pas être dans une association, vous violez tous les articles du des statuts et vous continuez à faire partie de l’association. Il y a un problème.

Oui. Alors, donc c’est un combat que nous ne pouvons pas ne pas gagner. Donc tous les problèmes ont des solutions. Reste à trouver les chercheurs de solutions. Et vous en êtes. Il me reste une minute. Donc ce que vous nous permettez de faire aujourd’hui, nous devons continuer ça. La victoire est au bout. Et j’ai bien vu quand Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur, quand j’ai toqué à sa porte pour libérer Shakiro qui est cette trans qui a été condamnée à 5 ans d’emprisonnement ferme parce qu’il mangeait, il était habillé comme une femme, il mangeait dans un restaurant le soir. On l’a condamné à 5 ans d’emprisonnement. Mais dès la première audience, le procureur de la République nous a indiqué qu’il ne peut pas requérir sans demander les ordres de du ministère de la Justice. Il a mis 5 mois pour les avoir. La réponse est arrivée tranchante comme un couteau. Donnez-lui le maximum de la peine. Délinquant primaire. Pas de preuves. Violation flagrante des dispositions du Code de Procédure parce que le procureur de la République, dans le Code de Procédure du Cameroun, n’a pas le droit n’a pas le droit de de décerner un mandat de détention provisoire hors les cas de flagrant délit. Il n’y avait pas de flagrant, enfin bref. 

Voilà comment on arrive à tordre le coup à la loi, tordre le coup au juridique, tordre le coup à la Constitution, tordre le coup à l’engagement pris par le Président de la République auprès des organisations internationales pour arriver à condamner les gens, à leur enlever leur dignité, et on va laisser ? Non, le combat continue. Je suis là pour vous dire que je reste avec vous pour continuer ce combat que nous sommes condamnés à gagner. [Applaudissements]