Lucas RAMON MENDOS

Coordinateur de recherche pour ILGA WORLD (Argentine)
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Impact de la pénalisation de l’homosexualité sur les personnes LGBT

Bonsoir à toutes et à tous. Aujourd’hui je vous rejoins avec mes collègues Curro Pena et Hanlu Hu de l’ILGA Monde pour partager avec vous le résultat de notre recherche sur l’impact de la pénalisation de l’homosexualité sur les personnes LGBT.

Injustice, souffrances inutiles, préjugés renforcés, impunité, vie détruite, douleur, corruption. Voici quelques-uns des mots qui décrivent les effets directs et indirects de la pénalisation de l’homosexualité.

L’ILGA est une fédération de plus de 1800 organisations qui travaillent pour le droit des personnes LGBTI dans plus de 140 pays, et depuis 2006, l’ILGA dénonce chaque année les lois qui pénalisent les actes consensuels entre personnes de même sexe. On le fait dans un rapport que vous connaissez peut-être : Homophobie d’État. On a commencé avec une compilation assez modeste de lois, mais depuis la création du programme de recherche d’ILGA Monde en 2018, on a peu à peu élargi la portée de notre recherche pour aller au-delà des textes, et surveiller un peu l’application de ces lois dans la pratique. Pour cela, nous nous appuyons sur les informations que les organisations de la fédération nous fournissent, mais aussi, au niveau du bureau mondial à Genève, on a élargi notre propre capacité pour surveiller les médias. On a créé une plateforme spécialisée pour surveiller les informations relayées par des médias locaux dans plus de 70 langues dans plusieurs pays. Alors avec l’information, le volume qu’on a pu collecter, on a publié en 2021 Our Identities Under Arrest : nos identités en état d’arrestation, la première étude mondiale qui se focalise spécifiquement sur l’application de lois qui criminalisent. Cela veut dire comment les États arrêtent, poursuivent, inculpent et condamnent des personnes sur la base de ces lois : en posant des amendes, des peines d’emprisonnement, des châtiments corporels, et voir la peine de mort dans plusieurs pays.

Parmi les raisons qui nous ont motivés à produire un rapport de cette nature, pour commencer, on a la visibilité qu’on voulait créer autour de cette question, mais aussi on voulait créer de l’évidence (des preuves), systématiser l’évidence pour discréditer ces récits que plusieurs États apportent à l’ONU, à Genève, prétendant que ces lois ne s’appliquent pas dans la pratique, dans leurs propres termes que ces lois dorment dans les codes pénaux. Ce sont ces idées qui ont été aussi utilisées comme prétexte pour ne pas abroger ce type de loi. Alors on voulait discréditer ça, et aussi systématiser l’évidence, l’apport de preuves de l’application de ces lois pour que les agences d’asile et les cours d’asile aussi en tiennent compte pour ce que l’on appelle les recherches des informations sur les pays d’origine. Cela veut dire les informations par rapport auxquelles tout témoignage de toute personne qui recherche l’asile est contrasté. Alors dans plusieurs pays d’accueil, ici en Europe et en Amérique du Nord, on voit comment la protection internationale est refusée quand les personnes viennent de pays qui criminalisent, mais là où il n’y a pas de documentation en ce qui concerne l’application de ces lois. Ils sont rejetés sur la logique qu’ils ne courent pas de risques dans les pays qui n’appliquent pas ces lois.

Alors beaucoup moins de refus auraient été proclamés si plus d’information avait été disponible.

On a pu systématiser 900 cas d’applications de ces lois dans 72 pays. Mais nous savons que ces 900 cas ne sont que la partie émergée d’un iceberg et la plupart des cas sont encore en dessous de la surface : des cas qui ne sont pas signalés, des arrestations qui ne sont pas suffisamment enregistrées, des registres qui restent inaccessibles à notre examen, et aussi des registres incomplets ou erronés. Mais même avec ces 900 cas, on a pu identifier certains éléments communs, qui grosso modo sont généralement la façon dont ces lois sont appliquées. Pour commencer, on a les méthodes d’arrestation. Et on a pu identifier le guet-apens. Maintenant avec la prolifération des applications de rencontres, la police utilise ces applications pour piéger des personnes LGBT. On voit comment la ressource de l’État est utilisée pour traquer des personnes qui seront arrêtées sans aucune garantie procédurale. On voit aussi plusieurs personnes détenues exclusivement sur la base de plaintes des voisins, des raids dans des espaces de socialisation, des événements par rapport au VIH par exemple et même aussi dans les maisons des personnes LGBT. Et plus inquiétant encore, la fréquence à laquelle on a vu des cas de personnes LGBT qui ont été arrêtées lorsqu’elles voulaient signaler les crimes dont elles ont été victimes, et finissaient par être détenues quand le fait qu’elles étaient LGBT était porté à l’attention de la police.

On a pu constater des aveux extorqués sous la contrainte ou la torture. Et en parlant de la torture aussi on a vu de nombreux cas d’examens anaux forcés, des examens qui ont été questionnés, qui ont été rejetés internationalement, mais que des juges continuent à ordonner comme preuves d’experts. Ce sont des examens invasifs.

Il y a deux problèmes aussi qu’on a pu identifier auxquels il fallait s’attendre, mais qu’on a pu confirmer ça avec l’information qu’on a systématisée. Pour commencer, les mauvais traitements. Ça c’est une règle qui ne semble pas avoir une seule exception malheureusement. Chaque arrestation vient accompagnée d’humiliations, d’agressions physiques, psychologiques, même sexuelles, quelques cas d’incitation à ce que d’autres détenus attaquent les personnes LGBT qui sont arrêtées. Et aussi comme cela se passe largement avec d’autres questions de politique pénale, ce sont les personnes pauvres qui souffrent des effets de ces lois le plus. Dans un contexte où la corruption est courante, on voit comment pouvoir acheter la liberté peut être une clé pour éviter des violations plus graves. Et on voit aussi comment les forces de l’ordre reçoivent des pots de vin pour éviter des contacter le procureur, et éviter conséquemment que les procédures soient initiées, les procédures formelles, les poursuites. Alors on voit aussi comment la corruption peut contribuer à invisibiliser beaucoup de cas.

Si on prend une vision un peu plus générale, une vision globale, on peut voir quelques tendances aussi. L’application est très volatile, très variable au fil du temps : on peut avoir des pays avec très peu de cas pendant plusieurs années, et après voir des vagues dans les arrestations et des raids. Parfois on voit ces pics quand les politiciens, les chaires religieuses ou même les médias propagent un discours de haine. Alors ça c’est très important pour les agences d’asiles aussi, quand elles font l’évaluation du risque, parce qu’on peut avoir des moments « tranquilles » suivis de grandes vagues. Aussi, les poursuites sont un indicateur inadéquat, parce qu’on a constaté que le nombre de cas dans lesquels le pouvoir judiciaire intervient est très faible en comparaison à ces cas qui restent au niveau des forces de l’ordre. Alors c’est la police et les forces de l’ordre en général où l’on voit les effets qui sont le plus graves de l’application de ces lois. Et si on compte seulement les poursuites, on passe à côté de la majorité des cas. Et c’est malheureusement ce que les agences d’asiles ont un peu tendance à faire. Finalement, l’expression du genre peut être clé dans l’application de ces lois. Et qu’il s’agisse d’actes sexuels entre personnes de même sexe, sexe contre nature, ou acte impudique, qu’ils aient criminalisés. Dans la pratique, c’est l’apparence, la tenue vestimentaire, la façon de parler qui souvent, justifie des arrestations. Pour illustrer ça, on a un cas du Tchad, en 2020. Après l’arrestation d’une personne qui était présentée comme un homme habillé en femme, le porte-parole de la gendarmerie nationale a dit « un homosexuel c’est difficile à déterminer mais nous on le dit comme ça par rapport à son comportement, son habillement, et la justice va faire lumière ».

Alors jusqu’à présent ce sont les effets de l’application directe. Il y a les effets indirects qui viennent après, au-delà des effets des arrestations et de la situation des violences. Il y a des millions de personnes qui vivent dans des États qui criminalisent encore, et l’existence même de ces lois contribue au renforcement de la haine et des préjugés.

Il y a la violence dans la vie quotidienne, dans les espaces publics, dans les centres de santé, quand les personnes essaient d’accéder aux centres de santé, dans les études, et dans le travail aussi, qui est légitimée par ces lois.

Les personnes LGBT sont des criminels est un message clair et percutant. Il ne s’agit pas d’une question symbolique ou abstraite.

Cela donne le feu vert à la violence, à la discrimination, au harcèlement. Et le feu vert aussi à la violence et au harcèlement de civils et, disons de la part des officiers de l’ordre. Aussi, cela peut donner des garanties d’impunité à ceux qui commettent des crimes contre les personnes LGBT. Alors ce sont plusieurs violations de droits. De droits de l’homme qui depuis 1948 sont consacrés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Mais pour des millions de personnes, ce droit peut encore sembler une chimère, du fait de l’existence de ces lois. Alors il est l’heure que cela change. Mais pour que ces changements puissent commencer à se produire, il faut vraiment que ces lois cessent d’exister pour aller à la dépénalisation universelle. Merci pour votre temps.

[Applaudissements]