Etienne DESHOULIÈRES
Avocat, président de l’Association pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité (France)Dépénalisation de l’homosexualité devant les cours supranationales africaines
J’en viens maintenant à mon intervention. Je vais évoquer la dépénalisation de l’homosexualité devant les Cours Supranationales de Droits de l’Homme africaines. Avant cela, j’aimerais vous dire que je pense que nous sommes à un tournant de l’histoire de la dépénalisation et de l’histoire de la mobilisation des personnes LGBT dans le monde, et notamment dans les pays de la pénalisation.
Il y a eu en France, comme dans d’autres pays africains, comme aux États-Unis, une mobilisation du mouvement LGBT à travers des luttes pour l’accès aux soins et notamment pour les médicaments pour le VIH. Heureusement qu’il y a eu cette lutte parce qu’il s’agissait véritablement d’une question de survie des personnes, et notamment des gays et des travailleurs du sexe qui étaient infectés par le VIH. Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de survivre. Il s’agit maintenant de revendiquer des droits, et notamment celui de ne pas être détenu en raison de son homosexualité. La question de l’accès aux soins reste une question urgente, mais il est temps de la dépasser et de s’organiser pour revendiquer des droits, et en premier lieu la dépénalisation de l’homosexualité.
Il y a eu des tentatives, et notamment des tentatives de la part des Américains, politiques pour dépénaliser l’homosexualité. Il y a eu la tentative bilatérale d’État à État, de mettre dans des contrats de prêt des conditionnalités, qui visaient à dire aux pays du Sud « on est d’accord pour vous donner de l’argent dans le cadre de prêts, mais vous vous engagez vous en retour à dépénaliser l’homosexualité dans votre pays ». Cette politique, qui était notamment menée par Obama, a provoqué une levée de bouclier dans les pays du Sud, et il y a eu en France également une remise en cause de cette politique. Évidemment les enjeux sociaux, les enjeux autour de la santé notamment, étaient peut-être plus importants, en tout cas à ce moment-là, que les droits des personnes LGBT, pour les États du Nord comme ceux du Sud. Il y a eu également des tentatives multilatérales, Alice Nkom a évoqué le travail de Louis-Georges Tin, qui avait abouti à une déclaration de l’Assemblée nationale des Nations Unies, qui indiquait que les droits de l’Homme s’appliquent de la même manière à chaque être humain, indépendamment de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, et condamne les violations des droits de l’homme fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. C’est une déclaration qui nous paraît aller de soi lorsqu’on est dans un contexte européen, on se dit que c’est absolument évident que les personnes LGBT doivent avoir un respect de leurs droits humains comme n’importe quelle personne. Et pourtant, cette déclaration n’a obtenu l’adhésion que de 57 états sur 192, et a provoqué une contre-déclaration de la part de 57 états. C’était malheureusement un échec de la solution multilatérale pour la dépénalisation de l’homosexualité.
C’est pour ça que notre association, l’Association pour la Dépénalisation Universelle de l’Homosexualité, préconise aujourd’hui d’utiliser des moyens juridiques pour dépénaliser l’homosexualité, et nous avons vu au travers de l’intervention de Daniel Borillo que dans de très nombreux pays, et notamment dans les pays du Conseil de l’Europe avec l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, aux États-Unis, en Inde, dans des groupes humains extrêmement importants, il y a eu une dépénalisation de l’homosexualité par les tribunaux. Et je pense que cette espoir, cette possibilité doit être aujourd’hui la stratégie des militants LGBT en vue de la dépénalisation. Dans le discours d’Alice Nkom transparaissait clairement l’idée de la hiérarchie des normes.
La hiérarchie des normes, c’est un concept qu’on apprend en première année de droit, qui va nous dire qu’il y a des lois. Au-dessus de la loi, il y a la Constitution. Et au-dessus des constitutions, il y a les traités internationaux. Dans très nombreux États qui pénalisent l’homosexualité, il existe une charte de droits de l’homme au niveau de la Constitution comme au Cameroun, comme également au Sénégal, qui va indiquer qu’elle s’en remet à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme pour constituer une charte de protection des droits de l’homme à l’intérieur de l’État. Et bien si on regarde l’interprétation que fait la Commission des droits de l’homme de l’ONU de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, tout simplement la pénalisation de l’homosexualité est impossible : elle est illégale au regard de ce texte. Il y a également, et notamment dans les pays africains, au Cameroun comme au Sénégal, une adhésion des États à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Et bien, cette charte, même si elle ne reconnaît pas le principe de la protection de la vie privée, reconnaît d’autres principes, et notamment l’interdiction des détentions arbitraires, notamment un principe général de liberté qui interdit, qui rend illégal la pénalisation de l’homosexualité. C’est bien ce principe qui est simple, celui donc de la hiérarchie des normes qu’il s’agit aujourd’hui de mobiliser pour faire reconnaître par les juridictions, les juridictions nationales, les cours suprêmes, les cours supranationales de droits de l’homme, que la pénalisation de l’homosexualité est illégale.
Nous avons engagé avec Stop Homophobie, qui est aujourd’hui représenté par Terrence Katchadourian près de 200 procès en France sur les fondements des lois qui pénalisent l’homophobie. C’est bien, évidemment, nous avons fait condamner de nombreuses personnes, nous avons eu beaucoup plus de victoires que de défaites, et puis nous avons décidé d’aider des partenaires africains. Et lorsque vous allez en Afrique, lorsque vous voyez la violence des persécutions que subissent les personnes LGBT dans ces pays-là, mais vous vous dites certes il faut faire condamner les gens qui tiennent des discours homophobes chez nous, mais il est urgent, il est impérieux de dépénaliser l’homosexualité dans des pays où les homosexuels sont torturés, sont victimes de lynchages au sein de leur famille, de viols collectifs, sont poursuivis avant d’être emprisonnés dans des conditions épouvantables où ils ne vont pas avoir accès aux soins en prison, ils vont subir des violences par les détenus comme le montre le film passé par Assala, et c’est comme cela qu’est née l’idée avec Stop Homophobie, avec des militants africains avec lesquels nous travaillons de fonder cette Association pour la Dépénalisation Universelle de l’Homosexualité.
Nous avons dans ce cadre-là trois projets essentiels.
Le premier projet d’abord c’est de mettre à disposition en ligne une documentation claire et accessible qui vise à partager un argumentaire faisant des lois de pénalisation des lois qui sont illégales, c’est-à-dire montrer tout simplement que dans un pays, dans un contexte donné, comme le fait Alice Nkom au Cameroun, la pénalisation de l’homosexualité est illégale. Dans son rapport « Our Identities Under Arrest », l’ILGA World, représenté tout à l’heure par Lucas Ramon Mendos, indiquait qu’en 2018 il y a eu 170 poursuites pour homosexualité au Maroc, et qu’aucun des prévenus, aucun des avocats n’a pris contact avec ILGA World pour avoir de l’aide, pour revendiquer une protection au niveau international. Aujourd’hui, les personnes qui sont poursuivies dans les pays comme le Maroc, mais aussi au Cameroun au Sénégal sont seules face à un État qui les poursuit et qui les pénalise. Arrêtons cela, organisons-nous pour avoir une documentation qui permette à ces personnes là de pouvoir avoir une défense lors de laquelle l’illégalité de la pénalisation est revendiquée.
C’est le deuxième projet que nous avons avec l’Association pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité qui consistera à prendre en charge la défense des personnes poursuivies devant les tribunaux dans le cadre de procès stratégiques. C’est un concept qui a été défendu par Assala Mdawkhy à l’instant, et je crois qu’il faut réellement insister sur ce concept. À chaque fois qu’il y aura des poursuites pour homosexualité dans un pays, il s’agit d’une occasion pour revendiquer devant les tribunaux de ce pays l’illégalité du code pénal, l’illégalité des dispositions qui criminalisent l’homosexualité, simplement en demandant l’application des principes de la hiérarchie des normes que je viens de décrire.
Troisième stratégie proposée par notre association, c’est la saisine des juridictions supranationales, et il y a deux opportunités sur lesquelles nous travaillons à l’heure actuelle. Première opportunité c’est celle, et je travaille sur ce cas avec Abdou Dioum qui est intervenu à l’instant c’est le cas de [Prénom Nom]. [Prénom Nom] c’est un homosexuel qui est actuellement détenu dans une prison celle de Kaolack au Sénégal, pour le simple fait d’avoir eu une relation sexuelle consentie avec un autre homme. Dans ce procès, tout est à peu près intervenu : l’arrestation pour simple relation sexuelle consentie, le test anal, les violences suivant l’arrestation, le fait qu’il a difficilement accès à ses médicaments pour le VIH, le fait qu’il subisse des mauvais traitements dans sa prison. Dans ce cas-là, la convention qui établit la Cour de Justice de la CEDEAO permet à cette personne victime dans son pays d’une arrestation en raison de son homosexualité de saisir la Cour de Justice de la CEDEAO. La CEDEAO c’est à l’origine une union économique d’Afrique de l’Ouest qui réunit 15 pays, et qui s’est dotée en 2005 d’une Cour de Justice, qui a pour mission d’appliquer directement dans les états-membres la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Et ce qui est particulier dans ce cadre-là, c’est que les personnes n’ont pas besoin de ce qu’on appelle épuiser les voies de recours internes, c’est-à-dire aller jusqu’à la Cour de cassation avant de pouvoir saisir la Cour Supranationale. Ces personnes, ces victimes peuvent saisir directement la Cour de Justice de la CEDEAO c’est la raison pour laquelle nous sommes en ce moment même en train de préparer un recours devant cette Cour de Justice.
J’étais il y a un mois au Sénégal dans le tribunal de Kaolack pour récupérer les documents pour établir la situation dans laquelle se trouve pour préparer ce recours devant la Cour de Justice de la CEDEAO. L’autre recours qui est possible, c’est celui devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et les Peuples. Comme l’évoquait tout à l’heure Assala Mdawkhy, si la Cour de cassation tunisienne rend une décision défavorable dans l’affaire qu’elle vous a présentée, alors, et donc là après épuisement des voies de recours internes, il sera possible de saisir cette Cour Africaine et Droit de l’Homme et des Peuples, qui a également pour mission d’appliquer la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. 52 États africains ont adhéré à cette Charte, et la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, si elle rend une décision, légalisera ou plutôt dépénalisera l’homosexualité dans l’intégralité des pays africains. Alors certes se pose la question de l’effectivité dans un contexte où tous les pays africains ne sont pas des États de droit. Mais quand même, dépénaliser l’homosexualité dans les 34 États africains dans lequel l’homosexualité est encore pénalisée serait vraiment une immense victoire que j’aurais un très grand honneur de mener avec Assala.
Alors je voudrais finir mon intervention en adressant un cri d’alarme, un cri d’alarme à tous les décideurs politiques, à tous les défenseurs des droits de l’homme, et surtout à tous les militants LGBT et notamment ceux du Nord. Dans 68 pays, dans un tiers des États du monde, les homosexuels sont emprisonnés arbitrairement, ils subissent des violations inacceptables de leurs droits humains en détention. Il s’agit d’un crime contre l’humanité, un crime qui se joue en ce moment, et sous nos yeux. Alors unissons-nous pour y mettre fin.