etienne déshoulières
Président de l’Association pour la dépénalisation universelle de l’homosexualitéIntervention d'Etienne Deshoulières
Président de l’Association pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité.
Avocat au Barreau de Paris et Président de l’Association pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité, Etienne Deshoulières consacre depuis plus de 10 ans son activité à la défense des minorités sexuelles et de genre.
Son cabinet a initié près de 200 procès stratégiques pour faire avancer les droits des personnes LGBT+.
Aujourd’hui, je vais également vous faire une présentation en tant que président de l’Association pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité.
Nous avons travaillé depuis plus d’un an avec plusieurs jeunes juristes spécialisés en droit international des droits de l’homme. Il y a Lucas ici, il y a Justine, il y a Nathan, il y a également Félix qui fait la prise de vue et qui nous aide sur la communication, sur les images et les objets pour sensibiliser la cause de l’ADUH.
Aujourd’hui, j’aimerais vous exposer le résultat de ces recherches que nous avons menées au sein de STOP Homophobie, au sein de l’ADUH, au sein de mon cabinet depuis plus d’un an. Comment utiliser le droit pour dépénaliser l’homosexualité ?
L’objectif n’est évidemment pas uniquement de dépénaliser l’homosexualité, mais l’objectif est bien la dépénalisation de l’homosexualité en ce que cette pénalisation entraîne une persécution des personnes LGBT.
Et comme je l’indiquais, la pénalisation de l’homosexualité n’est pas seulement un fléau pour les homosexuels, elle est un fléau pour toutes les minorités sexuelles et de genre, et notamment et en particulier les personnes qui n’ont pas une expression de genre conforme.
Nous sommes, à mon avis, à un tournant de l’histoire de la construction des luttes internationales en matière de justice internationale et en matière de construction d’un mouvement LGBT international.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, il y a eu une construction d’un cadre juridique international avec une reconnaissance de droits humains fondamentaux au travers de traités internationaux, mais également au travers de constitutions locales.
Et dans le même temps, il y a eu la construction d’un mouvement LGBT international. Et bien, la fusion de ces deux mouvements donne lieu à une association de type association pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité, qui, intégrée et créée par des militants LGBT, utilisent la justice internationale pour faire avancer les droits des personnes LGBT et les droits fondamentaux.
Lorsqu’on parle de dépénalisation, lorsqu’on parle d’arrêter les persécutions, on est à l’étape un de l’agenda des personnes LGBT, c’est-à-dire protéger l’intégrité physique de la personne, se battre simplement pour le fait d’exister en tant que personne LGBT.
La première chose que nous faisons lorsque nous utilisons le droit pour la dépénalisation de l’homosexualité, c’est d’abord contester la légalité de la pénalisation. L’idée ici, c’est celle d’une hiérarchie des normes.
Dans la très grande majorité des pays du monde, il y a tout en haut de la hiérarchie des normes les traités internationaux, vient ensuite la constitution et seulement en dessous il y a la loi et enfin, il y a les règlements et les arrêtés.
Et bien, dans la plupart des pays du monde, et même dans la plupart des pays qui pénalisent l’homosexualité, il y a, au niveau local, un droit positif qui reconnaît des droits humains fondamentaux. Et donc, il s’agit aujourd’hui de se saisir de cette logique juridique, de se saisir de cette hiérarchie des normes, de demander le respect de l’état de droit pour dépénaliser l’homosexualité et mettre un terme à la violation des droits humains fondamentaux qui en écoule.
Ce que nous ont permis les recherches que nous avons menées depuis un an, et ces recherches ont principalement consisté à se procurer l’intégralité des décisions juridictionnelles, donc des décisions de tribunaux, soit des tribunaux internationaux, soit des tribunaux de cours suprême, les traduire en français, et étudier comment les juges résonnaient, comment un juge indien résonne, comment un juge d’Afrique du Sud résonne, comment un juge américain résonne pour reconnaître que la Constitution, ou reconnaître que les traités internationaux interdisent la pénalisation de l’homosexualité.
Il y a dans ce corpus de droits fondamentaux cinq droits qui sont essentiels pour que la pénalisation de l’homosexualité soit reconnue comme illégale.
Le premier droit, c’est le droit à la liberté individuelle. C’est un concept qui est utilisé, notamment par la Cour suprême américaine et la Cour suprême indienne, pour reconnaître qu’une personne a tout simplement le droit à une liberté tant que l’exercice de cette liberté ne cause pas de préjudice à autrui. C’est un principe extrêmement simple, mais c’est un principe selon lequel, si je veux entretenir une relation sexuelle avec quelqu’un et que cela ne cause de dommage à personne, c’est mon droit à la liberté individuelle qui doit primer sur les lois pénalisant l’homosexualité.
En Europe, le droit à la liberté sexuelle n’a pas été reconnu sur le droit à la liberté individuelle, mais sur le droit au respect de la vie privée. Pour la Cour européenne des droits de l’homme, le droit au respect de la vie privée comprend une composante positive qui est le droit d’exercer, à l’extérieur de soi-même, son droit à la vie privée. Et bien, le droit d’entretenir des relations sexuelles dans la sphère privée avec une autre personne, le droit à la liberté sexuelle, est une composante du droit au respect de la vie privée.
Une deuxième chose que nous dit la Cour européenne des lois de l’homme sur le fondement du droit au respect de la vie privée, c’est que le simple fait qu’il existe des lois qui pénalisent l’homosexualité m’oppresse si je suis un homosexuel. Elle m’oppresse dans une composante fondamentale de mon identité qui est mon orientation sexuelle. Et donc, le simple fait qu’une loi existe, quand bien même elle ne serait pas mise en pratique, constitue une atteinte au droit au respect de la vie privée.
Un autre droit qui est évidemment essentiel, c’est le droit à la non-discrimination. C’est le droit de ne pas être discriminé simplement parce qu’on est une personne homosexuelle.
Je ne sais pas si vous connaissez Albissax, qui était le premier président de la Cour suprême d’Afrique du Sud. Il a cette phrase magnifique, cette explication qui dit si vous avez un rapport anal avec une femme, vous n’êtes pas condamné, si vous avez un rapport anal avec un homme et que vous êtes un homme, vous êtes condamné. Donc on voit bien que pour le même acte, des personnes ne sont pas condamnées, d’autres le sont. Et donc c’est bien parce qu’on est homosexuel qu’on est condamné. Ce n’est pas en raison d’un acte puisque c’est souvent la défense que prennent nos adversaires.
Et on voit bien que là, il y a une discrimination envers un groupe de personnes en raison de l’orientation sexuelle, et c’est évidemment une atteinte au droit à la non-discrimination.
Le droit à l’égale protection de la loi, c’est un concept qui est proche du droit à la non-discrimination, mais qui s’en écarte quand même substantiellement. Le droit à l’égale protection de la loi permet à chacun de pouvoir bénéficier de la loi de son pays dans la même condition que les autres citoyens.
Les deux hypothèses ici, c’est le droit d’accéder à un juge. Lorsqu’on est une personne homosexuelle, qu’on est victime de violences, qu’on est victime de vols, qu’on est victime de harcèlement et qu’on se trouve dans un pays qui pénalise l’homosexualité, c’est impossible d’aller voir les autorités et de porter plainte. Et donc dans les faits, il n’y a pas d’égales protections de la loi puisque les personnes homosexuelles ne peuvent pas bénéficier des lois très largement et du système judiciaire et de l’accès au juge pour faire valoir leurs droits. Et donc il y a là une violation de ce droit fondamental.
L’autre chose qui est essentielle, c’est le droit à la santé. Le droit d’accéder à un système de santé. Il y a eu des progrès qui ont été faits dans ce domaine, mais encore aujourd’hui, de très nombreuses personnes n’osent pas se présenter dans un hôpital parce qu’elles sont homosexuelles et qu’elles ont peur qu’au moment où elle dise “j’ai eu un rapport avec une personne de même sexe”, elle fasse l’objet d’une négociation, elle fasse l’objet de harcèlement, elle fasse l’objet de chantage, comme le rapport de l’ILGA et le rapport plus spécifique du Bangladesh. Il y a donc là aussi en matière de santé ce problème, qui est dénoncé très régulièrement par les organisations internationales qui protègent la santé, récemment en matière de variole du singe, parce que les personnes sont homosexuelles, elles ne vont pas se faire soigner et il y a une atteinte à leur droit à la santé et donc une atteinte à l’égale protection de la loi.
La dernière chose, et c’est un concept qui a notamment été développé par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, c’est le fait que lorsqu’on est arrêté en raison de son orientation sexuelle, il s’agit d’une détention arbitraire. L’idée derrière ça, c’est qu’on ne peut arrêter une personne que si cette personne constitue un danger pour la sécurité publique. Si cette personne ne présente absolument aucun danger pour les personnes ou pour l’État, alors l’arrestation de cette personne, la mise sous barreaux, constitue une détention arbitraire et constitue donc une violation du droit de ne pas être détenu arbitrairement.
Avec ces cinq concepts qui sont relativement simples, vous pouvez, dans tous les Etats qui pénalisent l’homosexualité, affirmer : la pénalisation de l’homosexualité est illégale, elle viole ces cinq libertés fondamentales qui ne sont pas des droits spécifiques reconnus aux personnes LGBT plus, mais qui sont bien des droits dont chacun bénéficie en qualité de personne humaine.
Pour mettre en œuvre ces théories qui font prévaloir le droit international des droits de l’homme sur le droit national qui pénalise l’homosexualité, il y a deux stratégies.
Une stratégie nationale, comme je disais tout à l’heure, tout procès lors duquel une personne est accusée d’homosexualité est un procès stratégique lors duquel il est possible de faire valoir les arguments que j’ai développés si avant.
Concrètement, dans un procès que nous avons financé grâce à l’aide de STOP Homophobie notamment, où dix jeunes sénégalais ont été arrêtés sans aucune preuve, simplement sur des soupçons d’homosexualité parce qu’ils se trouvaient à dix dans une pièce, et bien lors de ce procès, nous avons développé ces arguments pour faire valoir que la pénalisation de l’homosexualité au sénégal n’était pas légale parce qu’elle était contraire d’une part à la Constitution qui reconnaît l’adhésion du sénégal à la déclaration universelle des droits de l’homme et contraire à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
Deuxième contexte judiciaire, deuxième solution pour invoquer ces droits humains pour la dépénalisation, c’est le fait de saisir des cours supranationales de droit de l’homme. Dans plusieurs ensembles, les États se sont dotés de traités internationaux qui reconnaissent l’autorité au-dessus des États d’une cour supranationale chargée d’appliquer un traité qui protège les droits de l’homme.
C’est le cas de la Cour européenne des droits de l’homme, c’est le cas de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, c’est le cas en Afrique de l’Ouest de la Cour de justice de la CDAO. Depuis 2005, les États ont ratifié une convention additionnelle qui confère à la Cour de justice de la CDAO, le pouvoir d’appliquer la Charte africaine des lois de l’homme et des peuples. Et ce qui est très intéressant dans cette hypothèse, c’est que cette Charte africaine des lois de l’homme et des peuples, elle a été ratifiée et elle est actuellement en vigueur dans 50 États africains. Nous organisons en lien avec notre partenaire sénégalais l’UJEC, un procès qui vise à faire condamner le Sénégal en raison du fait que sa législation pénalisant l’homosexualité est contraire à la Charte africaine des lois de l’homme et des peuples. Si nous gagnons, nous gagnons évidemment contre le Sénégal, mais nous gagnons dans les 18 états qui sont membres de la Cour de justice de la CDAO et nous insufflons un mouvement, car la Cour africaine des lois de l’homme qui est une cour qui est une juridiction sur tous les états africains pourrait à l’avenir décider, si nous gagnons, comme la Cour de justice de la CDAO et considérer que la Charte africaine des lois de l’homme et des peuples rend illégale la pénalisation de l’homosexualité.
Deuxième stratégie, deuxième possibilité que nous avons d’utiliser le droit pour dépénaliser, c’est non plus s’en prendre aux États eux-mêmes ou à leurs lois, c’est s’en prendre aux personnes qui appliquent ces lois. Cela consiste concrètement à poursuivre pénalement les personnes responsables des persécutions devant des tribunaux. L’idée, c’est que lorsque l’on porte atteinte à des droits fondamentaux, lorsqu’on arrête arbitrairement une personne, lorsqu’on la maltraite lors d’une arrestation, cela peut être un crime, un crime généralement de deux ordres qui peuvent donner lieu à des poursuites dans un contexte international, le crime de torture et le crime contre l’humanité.
Le crime contre l’humanité, c’est un crime assez complexe qui criminalise les personnes qui organisent une persécution systématique en raison d’une composante que les personnes n’ont pas choisie et qui, dans un état, ont pour effet une persécution de l’ensemble de la population.
Dans les états où il y a des applicateurs zélés des lois pénalisant l’homosexualité, je pense notamment au cas de l’Egypte qui nous a été présenté par l’ILGA, où les autorités ont vraiment une politique proactive pour aller piéger les gens sur les réseaux sociaux, pour les poursuivre, pour forcer les portes pour trouver des gens en train simplement d’être chez eux et d’être homosexuels, dans ces cas-là, il serait possible d’engager des poursuites pour crime contre l’humanité.
Deuxième chose, ce sont les crimes de torture. Les crimes de torture, ils sont de deux ordres lorsqu’on parle de pénalisation de l’homosexualité. D’abord, au moment de l’enquête, il y a, comme le disaient mes prédécesseurs, des tests anaux qui sont pratiqués. Pour l’ONU, pour la Commission des droits de l’homme de l’ONU, le test anal constitue un acte de torture. Cela est intéressant parce qu’il existe en France ce qu’on appelle une compétence universelle pour poursuivre les actes de torture. Normalement, les tribunaux français, n’ont compétence, pour connaître d’un crime, que s’il a été commis sur le territoire français, commis par un Français ou contre un Français. Lorsqu’il s’agit d’un acte de torture, ces principes ne valent pas. Il serait possible, si une personne qui s’adonne habituellement à des tests anaux met ses pieds sur le territoire français, d’engager les poursuites, de porter plainte contre cette personne, pour que cette personne soit jugée par des tribunaux français pour des actes de torture.
Deuxième chose, c’est que dans le procès pénal, lorsque le procès pénal aboutit à une condamnation, et on a des images régulièrement de personnes homosexuelles qui sont flagellées publiquement, notamment à Aceh en Indonésie, ces actes de flagellation, et même en particulier ces actes de fouet, comme le rapport de l’ILGA, puisqu’il y a des condamnations de coups de fouet, constituent des actes de torture, évidemment. Quand bien même ces actes auraient été commis dans le cadre d’un système judiciaire, le droit français considère que ces personnes, qui ont commis ces actes de torture, pourraient être traduits devant des tribunaux français.
Il y a, comme je le disais, cette possibilité d’utiliser la compétence universelle de la France, mais également d’autres pays qui ont des compétences universelles de leurs propres tribunaux plus élargis. Je dois dire que nos compétences s’arrêtent à la compétence universelle de la France. C’est un champ de recherche que nous devrons approfondir par la suite.
Et c’est la fin de mon propos, cette possibilité également de poursuivre les responsables étatiques devant la Cour pénale internationale. La Cour pénale internationale, c’est une juridiction, un véritable tribunal qui a pour vocation de poursuivre les génocides, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre lorsque les juridictions d’un État ne sont pas en mesure de condamner les personnes qui commettent ces crimes. Lorsqu’on parle de pénalisation de l’homosexualité, on est précisément dans ce cas puisque les personnes qui mettent en œuvre la politique étatique ne sont pas réellement à cible de poursuite dans leur pays. Et donc la compétence de la Cour pénale internationale serait fondée pour connaître des crimes contre l’humanité et nous avons bien l’attention à l’Association pour la dépénalisation universel de l’homosexualité, de nous servir des données qui ont été recueillies par l’ILGA pour essayer de comprendre dans quels états la pénalisation de l’homosexualité et les persécutions qu’elle entraîne constituent un crime contre l’humanité qui nous permettrait de porter plainte avec les victimes de ces persécutions devant la Cour pénale internationale pour faire condamner peut-être des exécutants, mais peut-être également les plus hauts responsables étatiques, responsables de ce crime contre l’humanité lié à la pénalisation de l’homosexualité.
J’en arrêterai là pour cet exposé des résultats des recherches que nous menons depuis un an. Comme vous voyez, c’est un champ de recherche en essence. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues. Nous sommes en pleine progression. Nous avons déjà publié énormément de ressources sur Internet. Nous avons cette carte de la pénalisation avec les arguments juridiques qui est mise en ligne sur notre site Internet.
Nous allons également proposer, et ça n’est pas encore le cas par les autres organisations internationales, une carte de la dépénalisation de l’homosexualité. C’est-à-dire une carte sur laquelle on pourra cliquer sur les pays pour savoir comment dans tel et tel pays l’homosexualité a été dépénalisée, pour donner un exemple positif pour les militants des pays de la pénalisation pour dire : “regardez, chez mon voisin, ça s’est fait comme ça”, et donc aider les militants locaux à aller plus loin pour une dépénalisation universelle de l’homosexualité.