Jean Marc Berthon
Ambassadeur aux droits des personnes LGBT+Intervention de Jean-Marc Berthon
Premier ambassadeur français aux droits des personnes LGBT+ Jean-Marc Berthon est un fervent défenseur de la dépénalisation universelle de l’homosexualité. Ancien conseiller du Président Macron, il a activement œuvré contre les thérapies de conversion.
Merci Etienne. Merci à la Gaîté Lyrique. Merci aux membres responsables des associations qui sont présentes, Monsieur le Député, merci aussi d’être là. Je salue en particulier le travail depuis sa création de l’Association pour la Dépénalisation Universelle de l’Homosexualité. Elle fait un travail remarquable et indispensable.
Il y a quelques années, dans son roman « De purs hommes« , le prix Goncourt, Mohamed Mbougar Sarr, que vous connaissez sans doute, raconte un fait bien réel qui a défrayé la chronique dans son pays. Une foule en colère, extrait de sa tombe le corps d’une personne homosexuelle, ou réputée telle, et le brûle en place publique.
La scène s’est encore produite, il y a quelques mois à peine. Le jeune homme mort prématurément avait une trentaine d’années, sa mère avait erré pour lui trouver une sépulture, elle avait été repoussée de partout, et le corps impur de son fils, lui avait-on expliqué, pouvait contaminer le cimetière. Cette femme, cette moderne Antigone, a fini par l’enterrer là où elle n’avait pas l’autorisation, et c’est devant ses yeux que la dépouille de son fils a été exhumée, brûlée, par des milliers de personnes.
La scène est terrible, elle montre qu’il est des haines si tenaces qu’elles poursuivent leur victime jusque dans la mort. Elle montre aussi que ces haines nous placent en dehors de la rationalité, mais il n’ait pas besoin d’aller si loin pour trouver des exemples de haines ordinaires qui sont de tous les continents, des haines ordinaires contre les homosexuels et les personnes trans.
Il reste dangereux en 2024 d’être LGBT, alors rappelons les faits. Dans 65 pays, c’est un crime ou un délit, les personnes LGBT+ y sont jetées en prison, soumises à des châtiments corporels, des amendes, dans quelques états à la peine de mort.
En 2022, en Iran, deux hommes ont été pendus pour le seul crime d’être gay. Ils s’appelaient Mehrdad Karimpour et Farid Mohammadi. Et partout, l’interdiction légale de l’homosexualité marque au fer rouge les personnes LGBT. Elles sont rejetées par leur famille, par leur milieu social, victimes de dénonciations, de chantage crapuleux, de lynchage, condamnées au fond à une vie de probe et de clandestinité.
Dans d’autres pays, une soixantaine également, l’homosexualité n’est pas pénalisée, mais l’État rogne sur les droits des personnes LGBT+. Difficile de mentionner, dans l’espace public, son orientation sexuelle ou son identité de genre, de se réunir publiquement ou de créer une association.
Comme si l’État, à défaut de prohiber les sexualités minoritaires, s’employait à les faire passer sous le radar, à les rendre invisibles.
Depuis quelques années, on observe une crispation sur ce sujet, un vent mauvais. Les droits des personnes LGBT+, reculent dans certains pays. Souvent, on applique plus durement les législations existantes qui déclenchent des vagues d’arrestation, comme le documente le dernier rapport d’ILGA, qui nous sera présenté dans un instant.
Quelques États prennent de nouvelles lois contre la prétendue propagande LGBT ou contre les agents de l’étranger, entre guillemets évidemment, d’autres envisagent de pénaliser alors qu’ils ne le faisaient pas. Et un pays, l’Ouganda, menace d’introduire la peine de mort.
En parallèle, un narratif politique très agressif a fait son apparition. Au mépris de la vérité historique, on prétend que la diversité sexuelle, j’y reviendrai, on prétend que la diversité sexuelle et de genre n’existe pas localement, qu’elle est un vice propagé par l’étranger, par l’Occident.
Les LGBT+ y sont stigmatisés comme ennemis de la famille et de la patrie. Ils causeraient la dissolution de ces cellules familiales, de la nation. Les périodes électorales sont bien sûr, particulièrement propices à l’agitation de la menace LGBT pour discréditer des adversaires ou faire bloc autour d’un chef nationaliste.
La Russie, évidemment, s’inscrit dans cette régression. Elle est même devenue le porte-drapeau de l’offensive anti-LGBT. Une homophobie d’état s’est installée à Moscou. Les lois répressives s’accumulent contre la supposée promotion des relations sexuelles non-traditionnelles, contre la transidentité, contre les activités associatives. C’est une situation de quasi repénalisation qui ne laisse pas d’autre choix aux communautés que la clandestinité ou l’exil.
Les personnes LGBT+ sont diabolisées, accusées de détruire la nation, d’être complices de l’Occident global, de l’Occident décadent et sont devenus, au fond, des boucs émissaires, des mots de la Russie. Un des boucs émissaires, il y en a d’autres évidemment, des mots de la Russie. Obsession dangereuse évidemment, sans précédent dans l’histoire, qui installe un climat de terreur pour les personnes LGBT.
Obsession qui exprime sans doute les angoisses profondes de la Russie, les angoisses démographiques notamment, mais obsession utile qui permet de fédérer la population, de rallier à l’international les pays supposés conservateurs et anti-occidentaux.
La question LGBT+ est ainsi devenue un enjeu international. Les Nations unies lui offrent une caisse de résonance. À New York, à Genève, des pays n’hésitent plus à ferrailler contre les droits des personnes LGBT, qu’ils contestent, et dès que la question arrive sur la table, les débats s’enflamment.
Il y a quelques mois, des pays ont écrit à António Guterres pour lui dire que la question n’avait pas sa place à l’ONU ou essayer de bloquer les programmes de l’Organisation Internationale du Travail qui permettent de lutter contre les discriminations dans le monde de l’emploi.
Dans ce contexte, il est plus urgent que jamais de s’engager. Pour contrer ces vents mauvais, mais aussi pour que le mouvement de reconnaissance des droits des personnes LGBT+ se poursuive. Pour que soit mis fin à cet outrage à la dignité humaine que constitue la pénalisation de l’homosexualité.
Il faut avancer dans cette bataille, je crois, avec des idées claires. Rappelez qu’elle n’est pas, et c’est important, une bataille culturelle. Elle n’oppose pas des cultures, des civilisations, des religions. Elle n’oppose pas l’Occident et le reste du monde. L’homosexualité et la transidentité, les sciences sociales, le montrent, existent dans toutes les sociétés. Les mots des langues africaines, amérindiennes, asiatiques, océaniennes, en témoignent, Mahu, Iraki, Two-spirits, Quisheh, Fa’afafine et surtout l’Occident n’est pas seul à prôner tardivement et inégalement le respect des personnes LGBT+.
L’Afrique du Sud et le Brésil sont sur ce sujet des pays très progressistes. Ils ne sont pas occidentaux. Pas plus que le Japon, pourtant membre du corps groupe LGBTI aux Nations Unies. La plus grande partie de l’Asie, la moitié de l ‘Afrique, la quasi-totalité de l’Amérique, ont dépénalisé.
Et parmi les pays ayant fait ce premier pas des pays à majorité musulmanes, chrétiennes, juifs, hindouistes, bouddhistes. La bataille n’est pas culturelle, c’est une bataille au sujet des droits de l’homme.
Ce qui est en jeu, ce sont les droits fondamentaux de la personne humaine, leur universalité. La pénalisation de l’homosexualité porte une atteinte grave au droit à la vie privée, ainsi qu’au droit de ne pas être discriminé.
La censure de la parole et des activités sociales des personnes LGBT est un déni des libertés d’expression, d’association, de réunion. À travers divers textes, dont la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, les États se sont engagés à respecter ces droits inaliénables et à en rendre compte devant leurs pairs.
Nous sommes donc fondés à leur demander le respect de leurs engagements. Ni culturelle, ni communautaire, le combat pour la protection des personnes LGBT est un combat pour l’universalité des droits et pour la dignité humaine.
Une autre idée claire doit nous servir de boussole. Le recul observé dans certains pays est en réalité un phénomène de réaction. Réaction au mouvement de reconnaissance des personnes LGBT qui se maintient et s’étend dans une grande partie du monde.
C’est ce mouvement, qui est premier, qui dicte l’agenda. Depuis 50 ans, 100 pays ont dépénalisé, 6 l’ont fait au cours des 25 derniers mois : Singapour, la Barbade, les îles Cooke, l’île Maurice, Antigua-et-Barbuda, Saint-Kitts-et-Nevis et chaque année, de nouveaux États se dotent de lois pour lutter contre les LGBT-phobies. Accorder l’égalité au couple de même sexe ou interdire les thérapies de conversion. Ces derniers mois, l’Ukraine, les Pays-Bas, la Moldavie, la Bulgarie, le Brésil, le Canada, Israël, la Grèce, l’Espagne, le Portugal, la Nouvelle-Zélande, Chypre, l’Islande, la Norvège, la Slovénie, l’Estonie, la Lettonie, Cuba, le Mexique, Andorre, le Népal, Taïwan, Liechtenstein.
La prise en compte des préoccupations des personnes trans progresse également dans un certain nombre de pays, pas assez nombreux : Espagne, Allemagne, Inde, Hong Kong, Finlande, Nouvelle-Zélande, ont adopté récemment des mesures pour alléger les exigences posées à la reconnaissance de la transition.
Ce sont aujourd’hui un tiers, un tiers des pays de la planète qui sont engagés dans cette dynamique de progrès et nous devons toujours garder à l’esprit que la force de ce mouvement est plus grande que celle du mouvement de réaction.
La France est mobilisée. Tous les leviers de notre diplomatie bilatérale, multilatérale, européen sont utilisés pour encourager, premièrement, la dépénalisation de l’homosexualité, deuxièmement, le plein respect de tous les droits, nos deux objectifs.
J’ai créé un fonds, on en a parlé, pour aider les courageuses associations qui, à l’étranger, font bouger les lignes. D’autres instruments financiers sont utilisés, en particulier ceux de l’Agence française de développement, qui permettront de financer des refuges à l’étranger.
Une circulaire a été adressée à toutes nos ambassades, leur demandant de faire des démarches auprès des autorités locales, de protéger et accompagner les voies progressistes, d’offrir une visibilité aux enjeux LGBT+, de porter plus d’attention aux demandes d’asile des personnes menacées, de déclarer nos enceintes diplomatiques comme des lieux sûrs et de faire un rapport annuel sur la situation des droits qui nous permettra, dès cette année, d’avoir un rapport mondial pour la première fois.
Depuis un an, j’ai effectué une quinzaine de missions pour porter le message de notre pays auprès des États, des sociétés civiles de l’ONU, de l’Union européenne. J’ai rencontré des activistes d’une cinquantaine de pays pour leur apporter le soutien de notre pays.
Cette mobilisation donne des résultats. Dans plusieurs pays, nos démarches ont permis l’abandon de lois répressives. Des procédures d’infraction ont été lancées contre certains États au sein de l’Union européenne pour garantir que l’Europe reste l’espace le plus protecteur au monde pour les personnes LGBT. À l’ONU, à l’OIT, les tentatives de supprimer la question LGBT de l’agenda ont été contrecarrées avec succès.
Et de nombreuses personnes persécutées en Afrique, en Russie, au Moyen-Orient, en Chine, doivent à notre intervention leur vie et leur liberté. Nous continuerons bien sûr, le plus difficile reste devant nous.
Cette question internationale nous concerne. On ne peut pas faire progresser les droits dans notre pays en fermant les yeux sur ce qui se passe hors de nos frontières. Dans le monde globalisé, tout circule, le pire comme le meilleur.
Alors si on laisse faire le backlash, c’est chez nous que reviendra, très vite, le temps de la peur et de l’intimidation. Le combat pour les droits des personnes LGBT nous protège. Il est inséparable du combat pour l’émancipation de la personne humaine.
Merci beaucoup.