Arrêt Dudgeon c. Royaume-Uni: le 22 octobre 1981, la Cour européenne des droits de l’Homme se prononce sur la conformité d’une loi pénale d’Irlande du Nord qui condamne les rapports entre personnes de même sexe sous l’angle du droit à la vie.
- La Cour rappelle le contenue de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui protège la vie privée.
« 38. L’article 8 (art. 8) se lit ainsi :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » » – page 14.
- Sur la proscription de l’homosexualité par la loi litigieuse.
« 39. Quoique la législation litigieuse ne proscrive pas l’homosexualité en soi, mais les actes d’indécence grave entre hommes […], les pratiques homosexuelles masculines dont l’intéressé dénonce la prohibition figurent à coup sûr parmi les infractions qu’elle réprime » – page 14
- Constatation d’une ingérence au droit à la vie privée.
« 40. La Commission n’aperçoit pas de raison de douter, dans l’ensemble, de la véracité des allégations de l’intéressé quant à la peur et à l’angoisse que lui aurait inspirées l’existence des lois en cause. 41. La Cour ne discerne aucun motif de s’écarter de l’opinion de celle-ci. Par son maintien en vigueur, la législation attaquée représente une ingérence permanente » – page 14
« 41. […] ou il la respecte et s’abstient de se livrer – même en privé et avec des hommes consentants – à des actes sexuels prohibés auxquels l’inclinent ses tendances homosexuelles, ou il en accomplit et s’expose à des poursuites pénales. » – page 14
- Justification de l’ingérence.
Prévue par la loi :
«44. […] l’ingérence est assurément « prévue par la loi » puisqu’elle découle de l’existence de certaines prescriptions dans les lois de 1861 et 1885, ainsi que de la common law » – page 15
Motif de justification en vertu de la protection de la morale et des droits et libertés d’autrui :
« 47. […] ladite législation vise […] à prémunir les jeunes contre des pressions et assiduités déplacées et néfastes. » – page 16
« 47. […] Quand il s’agit des intérêts et du bien-être moraux de personnes ou catégories de personnes appelant une protection spéciale pour des raisons telles qu’immaturité, débilité mentale ou état de dépendance, la protection « des droits et libertés d’autrui » se ramène donc à un aspect de celle « de la morale » » – page 16
Nécessaire dans une société démocratique :
« 49. Sans contredit, une certaine réglementation pénale du comportement homosexuel masculin, comme du reste d’autres formes de comportement sexuel, peut se justifier comme « nécessaire dans une société démocratique ». » – page 16
« 49. […] Une fois reconnue la « nécessité » de légiférer pour prémunir des fractions données de la société, de même que l’éthique de celle-ci dans son ensemble, il s’agit en l’occurrence de rechercher si les dispositions incriminées du droit nord- irlandais et leur application restent dans le cadre de ce que, dans une société démocratique, on peut estimer nécessaire pour atteindre ces objectifs. » – page 17
« 51. […] l’adjectif « nécessaire » […] implique l’existence d’un « besoin social impérieux » de recourir à l’ingérence considérée » – page 17
« 52. […] les États contractants gardent donc une marge d’appréciation (ibidem). Néanmoins, leur décision reste soumise au contrôle de la Cour » – page 17
« 52. […] l’étendue de la marge d’appréciation dépend non seulement du but de la restriction, mais aussi de la nature des activités en jeu. Or la présente affaire a trait à un aspect des plus intimes de la vie privée. Il doit donc exister des raisons particulièrement graves pour rendre légitimes […] des ingérences des pouvoirs publics. » – page 17
« 53. […] une atteinte à un droit protégé par la Convention doit notamment être proportionnée au but légitime poursuivi » – page 18
« 60. […] Dans la grande majorité des États membres du Conseil de l’Europe, on a cessé de croire que les pratiques du genre examiné ici appellent par elles-mêmes une répression pénale; […]. En Irlande du Nord même, les autorités ont évité ces dernières années d’engager des poursuites du chef d’actes homosexuels. […]. Rien dans le dossier ne prouve que cela ait porté atteinte aux valeurs morales en Irlande du Nord, ni que l’opinion publique ait réclamé une application plus rigoureuse de la loi. » – page 20
« 60. […] On ne saurait dès lors parler d’un « besoin social impérieux » d’ériger de tels actes en infractions, faute d’une justification suffisante fournie par le risque de nuire à des individus vulnérables à protéger ou par des répercussions sur la collectivité. » – page 20
Proportionnalité de la mesure :
« 60. […] L’accomplissement d’actes homosexuels par autrui et en privé peut lui aussi heurter, choquer ou inquiéter des personnes qui trouvent l’homosexualité immorale, mais cela seul ne saurait autoriser le recours à des sanctions pénales quand les partenaires sont des adultes consentants. » – page 20
« 60. […] ni les attitudes morales envers l’homosexualité masculine en Irlande du Nord ni la crainte qu’une atténuation de ces règles n’aboutisse à miner les valeurs morales existantes ne permettent en soi une ingérence si étendue dans la vie privée du requérant. »
« 61. […] la restriction imposée […] se révèle par son ampleur et son caractère absolu, indépendamment même de la sévérité des peines encourues, disproportionnée aux buts recherchés. » – page 20
- Conclusion.
« 63. […] Il y a donc violation de l’article 8 » – page 21
Ressource juridique
Décision de la CEDH : https://depenalisation-homosexualite.org/wp-content/uploads/2024/07/Decision-CEDH.pdf